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HOPITAL MARIN

 

 

Du Sanatorium à l'hôpital marin de Hendaye (1899-1999)


Un siècle de thèses de médecine

 

Par Pierre L. THILLAUD (Ecole Pratique des Hautes Etudes, IVe section, La Sorbonne, Paris)

 

 

Le 13 juin 1899, pour l’arrivée du premier convoi de 26 petits Parisiens qui marquait l’ouverture effective du sanatorium de Hendaye, il avait été prévu que le personnel médical serait composé d’un médecin-chef assisté de deux internes en médecine.

 

Depuis cette date, des médecins-chefs il y en eut quatre : MM. les Drs Ferdinand CAMINO (de 1899 à 1919) ; Paul MORANCÉ (de 1920 à 1953) ; Jean COLBERT (de 1954 à 1987) ; Jean-Paul DARDEL (de 1989 à 1993) ; de sorte que Mme le Dr Brigitte SOUDRIE, actuellement en fonction, ne se trouve être que le cinquième titulaire au moment de ce Centenaire.

 

Des internes, à l’évidence, il y en eut beaucoup. Dans son étude très documentée et à laquelle nous nous référerons souvent, M. DARDEL en recense près de 80. Ce nombre est remarquable car les recherches sur ce sujet dans les archives de l’Assistance publique de Paris sont difficiles. Il reste cependant bien inférieur à celui que l’on pouvait attendre. L’explication de cette différence tient à ce que dans les faits et en dépit de l’organisation prévue il n’y eut longtemps qu’un interne à Hendaye ; que ce n’est qu’à partir de 1964 qu’un deuxième interne fut attribué pour le seul trimestre de l’été, et que depuis la fin de 1973 que ce second poste fut ouvert de manière permanente jusqu’à la disparition totale de cette fonction dans l’établissement en 1996.

 

Au-delà de l’exactitude de leur recensement, ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est qu’avec chacun de ces internes se profile une thèse et que certains d’entre eux firent le choix ou saisirent l’opportunité de la consacrer à l’enseignement reçu et à l’expérience acquise au cours de leur séjour à Hendaye.

 

Il est généralement convenu de négliger l’apport des thèses à la Médecine en général et à son histoire en particulier. Sans ignorer les circonstances qui de plus en plus président à la réalisation de cette épreuve ultime dans la formation médicale initiale, nous pensons qu’il convient de modérer quelque peu ce jugement.

 

Pour peu qu’on veuille y prêter l’attention nécessaire, la lecture de ces thèses offre bien plus souvent qu’on ne le pense, l’occasion de prendre connaissance, au-delà des litanies d’observations à propos de cas rares, d’un témoignage souvent représentatif de la collectivité professionnelle ayant entouré le futur médecin et, plus fréquemment encore, d’un message confié par le médecin ayant guidé le thésard dans son travail. Bien des audaces figurant dans ces thèses trahissent la prudence d’un «patron». A ce titre, elles constituent toujours une véritable source historique.

 

Dans cet esprit et parmi la dizaine de thèses recensées de 1900 à nos jours par M. DARDEL qui portent sur les activités de l’établissement, nous en avons choisi quatre qui nous semblent bien démonstratives de son histoire désormais centenaire.

 

La première d’entre elles, intitulée : «Le sanatorium d’Hendaye et le climat méridional atlantique» fut soutenue le 8 juillet 1901 à Paris par Henri MARCOU-MUTZNER. Le choix d’un tel sujet semble délibéré et porte témoignage de l’intérêt soutenu pour la thérapeutique hélio-marine de son auteur qui, après avoir effectué en 1899 son premier semestre d’internat au Grand Hôpital maritime de BERCK, débute fin juin 1900 son troisième semestre à Hendaye.

 

Rédigée moins de deux ans après l’ouverture du sanatorium, cette thèse qui tient lieu de premier bilan d’activité, reste la source fondamentale de toutes les approches historiques de l’établissement.

  

Sur la base d’un article publié en mai 1899 par l’architecte de l’Assistance publique de Paris, M. BELOUET, deux petits chapitres relatent fidèlement la genèse du projet, ses péripéties et donnent un descriptif résumé de son état de premier achèvement, c’est-à-dire des seuls pavillons du front de mer, avant les extensions de 1904-1907.

  

Les péripéties qui présidèrent au choix définitif du site d’implantation du sanatorium méritent qu’on s’y attarde.

Avant de choisir Hendaye, l’Assistance publique de Paris avait prospecté depuis 1892 toute la côte atlantique depuis Arcachon et avait essuyé les refus catégoriques des communes d’Arcachon, de Capbreton, du Boucau, d’Anglet, de Biarritz et de Saint-Jean-de-Luz. Toutes, de manière plus au moins diplomatique, avaient argué de leur répugnance à favoriser l’installation sur leur territoire d’un «foyer permanent de maladies contagieuses à cause de terreurs et d’éloignement pour leur clientèle française et espagnole et de ruines pour leur pays». Saint-Jean-de-Luz, dont le casino situé en plein centre ville était alors vacant, voyait son attitude de refus particulièrement fustigée dans la mesure où son maire, le Dr Albert GOYHENÈCHE (18..-1900) était médecin.

  

Peut-on vraiment blâmer Saint-Jean-de-Luz de cette attitude ? Serions-nous aujourd’hui réunis pour célébrer ce centenaire, si le sanatorium avait été installé au beau milieu de la plage de notre voisine ? Les arguments proposés par MARCOU-MUTZNER relatifs aux bienfaits économiques et sanitaires constatés à DAVOS en Suisse, ou bien à GORBERSDORF en Silésie où Hermann BREHMER (1826-1889) fonda le premier sanatorium pour tuberculeux, pour être justifiés ne sont pas sérieusement opposables à Biarritz ou à Saint-Jean-de-Luz, alors bien engagés depuis Napoléon III dans le tourisme balnéaire de luxe.

  

Et c’est ainsi que la commission parisienne se résolut à pousser plus au sud, vers Urrugne, ses recherches. Il se trouve que ce faisant, l’Assistance publique de Paris entrait dans un différend territorial majeur qui depuis près de 30 ans opposait Urrugne à Hendaye à propos de l’annexion, au profit de cette dernière, des quartiers de Santiago, près de la frontière et de Subernoa, celui-là même qui composé de terres arables et de landes appartenant aux deux tiers au domaine du Château d’Abbadie, verra s’installer le sanatorium.

  

Sachant dès 1884, la partie perdue, Urrugne ne pouvait mieux faire, avant de se voir retirer ces espaces forts éloignés de son centre, que d’en vendre pour 26 000 F une portion à l’Assistance publique de Paris. Et, c’est certainement très satisfaite de cette affaire que la commune signa le 13 juillet 1895 l’acte de vente. Il était temps puisque le 14 octobre 1896, Félix FAURE alors Président de la République et Louis BARTHOU ministre de l’Intérieur, député d’Oloron-Sainte-Marie, signaient le décret présidentiel d’annexion définitive.

 

  


Hendaye pour sa part ne pouvait que se féliciter de l’arrivée providentielle de cet établissement humanitaire avec cette annexion. La situation de la ville n’était pas comparable à ses voisines de la côte. Son centre se trouvait à près de trois kilomètres du site retenu pour le sanatorium et la station d’Hendaye-Plage n’était pas encore parvenue à s’imposer. Enfin, l’hôpital qui devait être situé à une extrémité de la plage, loin du casino, ne pouvait pas inquiéter les trop rares touristes souhaitant profiter des bains de mer.

Mais, par-dessus tout, Hendaye était républicaine et fière de ses convictions. Son vrai capital était fait de la Gare et de la Douane.

  

L’arrivée de l’Assistance publique de Paris, l’installation «d’un grand sanatorium marin… au profit de ses enfants pauvres» ne pouvait qu’emporter son adhésion enthousiaste. N’était-elle pas en outre source de richesses nouvelles : dans un premier temps, grâce à l’important marché des travaux de construction dont le montant total de près de 600 000 F revint pour une large part aux entrepreneurs locaux ; dans un deuxième temps, grâce aux nombreux emplois salariés féminins dont la plupart furent occupés par des habitantes de la commune.

L’élection municipale de 1896 consécutive à l’annexion qui vit l’entrée au conseil municipal du Dr Ferdinand CAMINO (1853-1933) et de Louis ADAMSKI (1866-1951) appelés à devenir respectivement le médecin-chef et l’architecte du sanatorium confirme, s’il en était besoin, le soutien total de la ville à ce projet.

  

Trente ans plus tard alors qu’Hendaye-Plage se trouve au zénith de ses activités balnéaires et mondaines, une plaquette publiée par le Syndicat d’initiative juge pourtant nécessaire de préciser à propos de l’Asile : «Cet établissement, très bien tenu, ne reçoit pas de contagieux, en particulier pas de tuberculeux ; malgré le nom de sanatorium donné couramment à l’Asile de la ville de Paris il ne s’agit pas de sanatorium, mais de préventorium marin et il n’y a rien à craindre pour les habitants ni les baigneurs».

  

Finalement et pour conclure cette digression sur les circonstances du choix de Hendaye pour l’implantation d’un sanatorium destiné à compléter l’action de Berck, il nous paraît nécessaire de préciser que ces deux communes littorales présentaient alors une spécificité commune fondamentale : une distance sécurisante séparait le centre-ville de leur plage qui n’était pas encore consacrée au tourisme. Comme pour Hendaye, il y a un Berck-Ville et un Berck-Plage.

  

Il faut bien convenir qu’en cette fin du XIXe siècle, la lutte contre les maladies contagieuses représente, en l’absence de l’antibiothérapie, un enjeu sanitaire majeur et que le seul critère déterminant pour l’établissement d’un sanatorium dans ces conditions demeure l’isolement.

  

Cette conviction naturellement acquise par tous les édiles municipaux confrontés à ce problème s’imposa d’autant plus facilement aux administrateurs hospitaliers qu’en 1896 une commission présidée par Paul BROUARDEL (1837-1906), ayant comme rapporteurs Joseph GRANCHER (1843-1907), tout nouveau conseiller municipal et futur maire de Cambo, et THOINOT qui inspectera en 1900 le sanatorium, avait conclu à la nécessité impérieuse de l’isolement des tuberculeux.

MARCOU-MUTZNER ne pouvait omettre, dès lors, de souligner l’application scrupuleuse de ce principe nouveau ; c’est ce qu’il fit en écrivant dans son introduction : «C’est sur la vaste plage d’Hendaye que le sanatorium de la ville de Paris est bâti, dans un coin isolé, au pied de la montagne. Des fermes isolées et antiques, quelques rares habitations au coin opposé de la plage, à trois kilomètres le petit bourg d’Hendaye. Ainsi placés, au bord de l’océan, les enfants reçoivent un air vierge qui n’est contaminé par aucune fourmilière humaine».

 

Après cette présentation générale, l’auteur nous informe du climat atlantique méridional, du fonctionnement du sanatorium, de la méthode générale de traitement et de la pathologie.

Chacun de ces chapitres nous donne un reflet fidèle de l’état de la Médecine à l’aube du XXe siècle qui malgré les progrès enregistrés en matière de clinique et de physio-pathologie se trouve dramatiquement impuissante dans le domaine thérapeutique.

 

En consacrant près de 40 % de l’ensemble de sa thèse aux caractéristiques climatériques de Hendaye, en détaillant à l’envi : la température, l’humidité, la pression atmosphérique, l’état du ciel, les régimes des pluies et des vents, les neiges et les gelées blanches, mais aussi la nature du sol, de l’air et la composition de la flore, MARCOU-MUTZNER traduit bien cette impuissance qui fait, qu’en 1900, les enseignements de l’antique traité hippocratique «Des airs, des eaux et des lieux» restent d’actualité.

 

Le chapitre consacré au traitement confirme cette situation en révélant dans ses premières lignes que : «comme dans tout sanatorium on fait peu de pharmacie. La tendance thérapeutique actuelle (se porte) vers l’hygiène et les agents physiques». Le premier de ses volets thérapeutiques repose sur l’emploi bi-quotidien de permanganate de potasse en bains de bouche, la toilette quotidienne des «parties intimes» et un bain chaud hebdomadaire. Le second s’en remet à la cure d’air marin et aux bains de mer l’été remplacés l’hiver par l’huile de foie de morue à raison de 2 à 4 grandes cuillères à 10 h et 16 h soit 50 à 80 g par jour. «Et cela tout naturellement sans artifice aucun» s’empresse de nous préciser l’auteur…

 

Le sanatorium de Hendaye est destiné uniquement aux petits Parisiens pauvres de 2 à 15 ans également choisis entre filles et garçons pour un séjour de six mois. Sur 100 enfants on recense : 6 % de convalescents d’affections aiguës ; 23 % d’anémiques ; 5 % de scoliotiques également anémiques ; 21 % de rachitiques ; 40 % de scrofuleux et de tuberculeux ganglionnaires ou pulmonaires dont 4 % seulement sont bacillaires et 5 % d’enfants «qui n’ont rien du tout» pour lesquels l’auteur indique : «Il y a en effet un certain nombre de familles qui savent exploiter l’Assistance»…

 

 

 

«Chaque fin de mois arrive un convoi de 30 enfants en moyenne et il ramène à Paris 30 enfants guéris ou améliorés. Il y a donc un roulement de 360 enfants par an.» Rythmés par les repas, les bains, les longues séances de jeux sur la plage ou sous les préaux et d’un peu d’instruction dispensée dans deux classes de 25 places chacune, les enfants profitent certainement du grand air sans toutefois éviter les inconvénients d’une vie en collectivité fermée. Au plan sanitaire ceux-ci se manifestent en permanence avec des affections sporadiques communes comme les angines, les embarras gastriques fébriles, l’impétigo, la perlèche et les conjonctivites, mais aussi sous forme de petites épidémies. C’est ainsi que pour la seule année 1900, la rougeole, les oreillons, la varicelle à deux reprises et la teigne mobilisent régulièrement tout le personnel soignant. Mêmes limitées, ces épidémies sont suffisamment préoccupantes pour que MARCOU-MUTZNER déplore à plusieurs reprises l’absence d’un «pavillon pour maladies contagieuses que l’infirmerie ne peut remplacer en aucune façon». Déjà le Dr THOINOT avait exprimé fortement ce désir dans son rapport sur l’épidémie de rougeole qui avait sévi au sanatorium en mars 1900.

 

Arrivé au terme de son exposé, c’est finalement avec une certaine satisfaction que l’auteur constate : «qu’en général des 800 enfants ayant séjourné durant les deux premières années d’activité du sanatorium… tous se sont améliorés» et surtout «qu’il n’y a jamais eu d’aggravation». Mais aussitôt d’ajouter : «les anémiques, les rachitiques, les scrofuleux et les lymphatiques… ont-ils besoin du climat d’Hendaye ? Partout ailleurs ils auraient trouvé la même guérison… Pour cette catégorie d’enfants, il était inutile de placer à grand frais un établissement à 830 kilomètres de Paris».

 

MARCOU-MUTZNER ne condamne pas pour autant l’existence du sanatorium. Il estime en revanche que «d’après la formule climatérique d’Hendaye… ce sanatorium devrait surtout être destiné aux manifestations initiales de la tuberculose viscérale», allant jusqu’à proposer son affectation exclusive à cette indication. Pour Berck, les tuberculoses osseuses et suppuratives. Pour Hendaye, «les manifestations initiales de la tuberculose viscérale». Et si comme le suggère le Dr F. CAMINO le traitement associe à la cure d’air et aux bains de mer, l’usage des eaux chlorurées sodiques de Briscous, «le sanatorium d’Hendaye pourrait alors avoir une importance sociale très grande». (*)

 

Ce plaidoyer ne pouvait que ravir le président de thèse, le professeur Louis LANDOUZY (1845-1917), qui au terme d’un «voyage d’études médicales» effectué en 1900 était convaincu que l’action développée à Berck conjuguée aux effets des eaux chlorurées sodiques fortes (eaux mères) de Salies-de-Béarn était une «association thérapeutique des plus heureuses». L’air et les bains de mer de Hendaye alliés aux eaux de Briscous ne formaient-ils pas ce traitement idéal préconisé par le «grand patron» parisien qui siégeait depuis peu (1893) à l’Académie nationale de Médecine ?

 

Hélas, MARCOU-MUTZNER ne pouvait ignorer que ces propositions se trouvaient en totale contradiction avec les objectifs de son administration, puisqu’on peut lire dans sa thèse : «M. NIELLY, inspecteur général de l’Assistance, nous disait encore récemment qu’on veut faire de ce sanatorium une sorte de centre de repos pour les enfants qui par groupe iraient faire ces cures dans les stations hydro-minérales voisines» et que : «Le sanatorium est dû aux anémiques, ce n’est pas un sanatorium pour enfants tuberculeux».

Il ne pouvait pas plus ignorer que ses propositions allaient à l’encontre des orientations prises par les autorités sanitaires chargées de la lutte contre la tuberculose. En cette même année 1901, Louis CALMETTE (1863-1933) considérant que dans l’état actuel des finances de la France, il est impossible de construire des sanatoria en nombre suffisant pour isoler les tuberculeux, fonde à Lille le premier dispensaire de prophylaxie.

Désormais l’heure est au préventorium. Pire, les bains de mer deviennent contre-indiqués aux tuberculeux pulmonaires.

 

La thèse de MARCOU-MUTZNER ne fut pas pour autant inutile. En mettant en évidence l’ambiguïté de sa destination soulignée par une appellation de «sanatorium» ; en démontrant l’absence d’une définition précise des indications médicales justifiant un séjour à Hendaye, cette thèse n’est certainement pas étrangère à la réflexion engagée peu après par l’Assistance publique de Paris. Réflexion qui sur le terrain se traduira par l’extension considérable (1904-1907) de ce qui sera officiellement nommé à partir de 1910 : l’Asile pour enfants convalescents de la ville de Paris.

 

Les indications médicales ne bénéficièrent pas d’une telle clarification et comme l’indique M. DARDEL : «Des tuberculeux restent cependant hospitalisés dans l’établissement comme le montrent les causes de décès avec un pourcentage relativement important de méningites tuberculeuses jusqu’en 1940».

Ces ambiguïtés dans la destination de l’établissement ; ces changements de nom ; ces incertitudes quant à l’indication médicale au séjour, nous les retrouverons tout au long du siècle, rythmés par les progrès médicaux et les évolutions démographiques et sociales qui marquèrent les populations concernées.

 

Soixante ans plus tard, la thèse de Maud LESGOURGUES intitulée : «L’établissement hélio-marin de la ville de Paris à Hendaye : possibilités actuelles et perspectives d’avenir» (Paris, 1962) confirme la pérennité de ces incertitudes.

Depuis 1901, bien des choses ont changé ; deux guerres mondiales et la perte de l’Empire ont profondément marqué l’esprit et le mode de vie des familles françaises et la Médecine a radicalement changé de visage.

 

En 1908, alors que l’établissement pouvait désormais accueillir plus de 650 enfants, le professeur Edouard-Francis KIRMISSON (*) (1848-1927) avait convaincu l’Assistance publique de Paris de l’utilité d’un service d’orthopédie médicale principalement destiné au traitement des scolioses.

 

 

 

 

Réservé dans un premier temps à l’accueil de 50 fillettes, celui-ci fut ouvert aux garçonnets à partir de 1920.

Il faut dire aussi qu’à partir de 1955, la cure des infirmités résiduelles des petits poliomyélitiques devint une activité essentielle de l’établissement. De 50 en 1955, ils sont près de 100 en 1960.

Tant et si bien qu’en 1960 plus de 500 enfants séjournent régulièrement à Hendaye pour bénéficier d’une kinésibalnothérapie et autre gymnastique médicale. Poliomyélite, maladie de Little, ostéo-chondrite, pieds-bots et genu valgum, scolioses et cyphoses, séquelles d’hémiplégie et de fractures forment désormais les principales indications à l’accueil des «petits Parisiens déficients».

 

Pourtant l’événement marquant de cette période se trouve ailleurs. Venue des Etats-Unis à la fin de la seconde guerre mondiale, la pédopsychiatrie impose ses règles nouvelles. La première d’entre elles vise à combattre par-dessus tout les dramatiques effets de la rupture familiale. Ce principe érigé en dogme modifie profondément le recrutement de l’établissement. Les convalescents n’ont désormais plus leur place à Hendaye, si ce n’est à considérer ce lieu comme une magnifique colonie de vacances. Et c’est de fait le cas au vu des variations saisonnières de l’effectif. En 1957, 800 enfants sont à Hendaye pour l’été ; ils ne sont plus que 500 l’hiver ; en 1960, l’été en accueille toujours 800 mais on n’en dénombre que 330 l’hiver. Est-ce bien raisonnable d’entretenir à ce prix et pour cet objet une structure hospitalière ? Assurément non !

 

Ceci étant, après l’exclusion des tuberculeux puis des convalescents, et du tarissement prévisible, au vu de l’efficacité vaccinale, des poliomyélitiques, quelle destination donner à l’établissement de Hendaye qui depuis 1950 s’appelle hélio-marin ?

 

Il faut convenir que les progrès thérapeutiques, les exigences nouvelles de la psychologie infantile, mais plus encore l’évolution des lois sociales et familiales ont considérablement réduit l’espace de recrutement de l’ancien Asile.

 

L’efficacité de l’antibiothérapie tuberculeuse, l’évolution résolument chirurgicale de l’orthopédie laissent le champ libre à la pédopsychiatrie qui investit radicalement l’établissement à partir des années 1960. Dans ces conditions, la thèse de Maud LESGOURGUES fait figure de manifeste.

 

Le recrutement proposé tend désormais à privilégier les enfants présentant des troubles graves du développement de la personnalité liés à une instabilité permanente du foyer familial ; les enfants ayant une manifestation réactionnelle à un conflit familial aigu ; les enfants déficients physiques atteints de formes graves d’hospitalisme et les enfants assistés.

 

Curieusement, les suggestions faites et les améliorations proposées au terme de cette thèse sont comparables en bien des points à celles de MARCOU-MUTZNER. Comme ce dernier le fit en 1901, Maud LESGOURGUES réclame en 1962 un pavillon d’isolement, mais cette fois-ci pour les enfants caractériels. Elles aussi regrette la brièveté des séjours et que seuls les enfants de Paris puissent venir à Hendaye. Signe des temps, où désormais le médical se trouve indissociable du social, elle souligne l’absence d’une assistante sociale.

 

Mais le plus étonnant est de lire, à soixante ans d’intervalle, que le bénéfice que retirent les enfants de leur séjour semble toujours – et avant tout ? – lié au génie des lieux. «Dans la quasi-totalité des cas» – nous confie l’auteur – «l’aspect, la « mine » des enfants sont transformés par leur séjour à Hendaye. Est-ce l’ambiance de la maison, le seul changement de climat, le climat propre ? Nous n’affirmerons rien, mais les faits sont patents».

 

Quoi qu’il en soit Hendaye désormais perçoit mieux son avenir et semble tenir une indication affirmée : l’accueil des enfants porteurs de troubles psychologiques.

 

La troisième thèse que nous avons choisi de retenir fut soutenue à Toulouse le 29 novembre 1979 par Marie-Paule FOULQUIÉ et Jean-Marie IDRAC. Son titre : «Présentation de l’hôpital marin de Hendaye ; population de 300 invalides moteurs cérébraux (IMC) déficients profonds», nous révèle – au-delà de l’appellation nouvelle de l’établissement – que les quelques certitudes des années 60 quant à sa destination n’étaient que très approximatives.

 

C’est à partir de 1970, avec l’arrivée de 58 enfants déficients mentaux profonds que l’hôpital découvre sa vocation actuelle. Survenue brutalement à la faveur d’une aggravation préoccupante de la baisse des admissions relevant de l’orthopédie médicale infantile, l’arrivée de ces petits polyhandicapés modifia radicalement la vie et la nature même de l’établissement. Dès 1973, ils seront 265 et, dix ans plus tard : 350.

 

Cette population nouvelle souvent grabataire, incontinente ou dépendante, ne ressemble en rien aux précédentes. «Confronté à ces êtres réduits à la plus simple expression», l’établissement improvise et le personnel fait face. Dans l’immédiat, les bains de mer cèdent le pas aux «pataugeoires». Les ateliers d’activités éducatives remplacent les salles de classe. Mais la simple «expérience familiale» ne suffit plus au personnel confronté à des situations très éprouvantes qui imposent une formation spécialisée.

 

C’est d’ailleurs cette inadaptation profonde des locaux ; l’absence réelle d’infirmiers, d’éducateurs et de psychomotriciens et, plus encore, d’une formation permettant à tous les agents de ne plus avoir «comme seule fonction, celle de routine qui consiste à répéter toujours les mêmes gestes plusieurs fois par jour et même par heure, sans l’attente d’aucun résultat», qui forment le message empreint d’une émotion et d’une désespérance à peine contenues, des auteurs de cette thèse.

 

Cette mutation brutale de la vie quotidienne de l’hôpital marin trouve son origine dans les exigences propres au «traitement» de ces malades si particuliers que sont les polyhandicapés. Celles-ci imposent à l’établissement deux vérités essentielles auxquelles il n’était en rien averti.

 

La première fut qu’à l’avenir les petits pensionnaires – qui par ailleurs ne venaient plus exclusivement de Paris – ne seront plus là pour seulement 6 mois et que tous ou presque vieilliront à Hendaye. Et, de fait, en 1988 sur 301 résidents, 22 seulement sont mineurs et l’âge moyen est de 27 ans. Sur 9 sorties, 7 se font pour décès.

La seconde fut que la thérapeutique médicale – les soins infirmiers comme la chimiothérapie – devenait prépondérante et qu’en conséquence les «caractéristiques climatériques» si chères à MARCOU-MUTZNER au début du siècle devenaient bien accessoires.

La dernière thèse choisie pour cette évocation médico-historique de l’établissement de Hendaye a été soutenue à Bordeaux le 28 octobre 1975 par Mario REDONDO. Son intitulé : «Intérêt clinique du dosage sanguin des antiépileptiques» porte témoignage des transformations profondes que connut l’établissement au cours des années 70 et de leurs conséquences sur ses activités thérapeutiques.

 

Avec une population comitiale qui dépasse 25 % de l’effectif, les pensionnaires de Hendaye permettent à l’auteur de réaliser l’une des toutes premières enquêtes prospectives sur ce sujet.

Les résultats apporteront la preuve que les modifications du traitement des épileptiques faites à partir du dosage par chromatographie de la concentration sanguine des antiépileptiques améliorent la condition des malades, tant en ce qui concerne la fréquence des crises que leur état intercritique.

Ce faisant, l’auteur donnait à Hendaye l’occasion d’apporter à la Médecine sa première contribution thérapeutique d’ampleur internationale.

 

Bien d’autres thèses présentées depuis mériteraient d’être citées. Parmi les plus récentes celle de Laurence WITTWER sur « Les handicaps associés graves » et celle d’Antoine ROBINE sur l’ «Hypothermie spontanée et retard mental » qui datent respectivement de 1994 et de 1998, témoignent du caractère durable de la dynamique résolument médicalisée qui marque le présent de l’activité de l’hôpital marin.

Mieux encore, ces thèses lui permettent de se replacer dans la tradition des établissements de la capitale en assurant désormais pleinement son rôle dans les missions de soins et de recherche confiées à l’AP-HP.

 

 

Bibliographie

 

1. – BELOUET (M.) : «Le sanatorium de Hendaye» ; Revue d’hygiène et de police sanitaire, 1899, XXI, 5, 1-24 (Société de médecine publique et d’hygiène professionnelle).

2. – DARDEL (J.-P.) : «A Hendaye, l’hôpital marin AP-HP a cent ans» ; 1998, (Dactylographie), 51 p.

3. – FOULQUIÉ (M.-P.), IDRAC (J.-M.) : «Présentation de l’hôpital marin de Hendaye ; population de 300 invalides moteurs cérébraux (IMC) déficients profonds» ; 1979, Thèse médecine Toulouse, nos 653-654, 54 p.

4. – LESGOURGUES (M.) : «L’établissement hélio-marin de la ville de Paris à Hendaye ; possibilités actuelles et perspectives d’avenir» ; 1962, Thèse médecine Paris, 70 p.

5. – MARCOU-MUTZNER (H.) : «Le sanatorium d’Hendaye et le climat méridional atlantique» ; 1901, Thèse médecine Paris, n° 49, 103 p.

6. – MICHELENA (Abbé M.) : «Hendaye, son histoire» ; 1987, Haïze-Garbia, Hendaye, 832 p.

7. – OLPHE-GAILLARD (G.) : «Histoire d’Hendaye» ; circa 1947, (Dactylographie), 152 p.

8. – REDONDO (M.) : «Intérêt chimique du dosage sanguin des antiépileptiques ; étude prospective» ; 1975, Thèse médecine Bordeaux, n° 431, 144 p.

9. – ROBINE (A.) : «Hypothermie spontanée et retard mental» ; 1998, Thèse médecine Bordeaux, n° 84, p.

10. – STRAUSS (R.P.) : «Au Pays Basque» ; 1906, Hachette, Paris, 191 p. (Bibliothèque des écoles et des familles).

11. – WITTWER (L.) : «Les handicaps associés graves : étude descriptive de la population hospitalisée à l’hôpital marin d’Hendaye » ; 1994, Thèse médecine Bordeaux, n° 119, p.