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LES BATELIERS


par Tito HUMBERT

 

  

    Au Moyen-Âge, dès le Xème siècle, le pèlerin, empruntant la route de l’intérieur pour se rendre à Saint-Jacques de Compostelle pouvait passer par le Pas de Béhobie (et continuer sur Oyarzun, Tolosa, Vitoria, Burgos…) ou par le passage de l’hôpital Saint-Jacques (pour cheminer par Fontarabie, Saint-Sébastien, Bilbao, Santander…). La traversée s’effectuait à l’aide de bacs. Il y en avait un à Béhobie, un autre à Irun, dont le port se situait au chevet de l’église Nuestra Señora del Juncal. On embarquait, également, à Fontarabie, à Behobia et à Enderlaza. Un texte latin du XIIème siècle, paru dans le guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle, précise certaines conditions de passage: « …Il faut savoir que les péagers ne doivent en aucun cas percevoir un tribut quelconque des pèlerins et que les passeurs ne doivent demander, régulièrement à deux personnes, pour la traversée, qu’une obole, seulement si ce sont des riches et, pour un cheval, une pièce de monnaie et, si c’est un pauvre, rien du tout. Et, en outre, les passeurs sont tenus d’avoir de grands bateaux dans lesquels peuvent entrer, largement, les hommes et leurs montures. » Pour quelles raisons les personnes circulaient-elles d’un pays à l’autre ? Chez les familles princières, déplacements rimaient avec intérêts, politique, rapprochements entre les Maisons… Occasionnellement, des ponts étaient construits avec des bateaux puis immédiatement démontés, après le passage de têtes couronnées. Ils auraient pu être pérennes mais ils ne faisaient pas l’unanimité. Fontarabie s’opposa, notamment, à la mise en place d’un pont en bois, prétextant la possession et le contrôle de la Bidassoa, lors de la visite d’une représentante de la famille princière des Orléans, en 1679. Pour le commun des mortels, la traversée de la rivière frontalière pouvait avoir comme but l’achat de produits différents ou moins chers que dans son propre pays, une meilleure  rémunération des emplois, les retrouvailles entre amis ou membres d’une même famille à l’occasion de fêtes, les attraits du tourisme ou … la revente illicite de denrées.


     Entre Hendaye et Fontarabie, vu les relations tendues entre ces deux cités, le trafic était plus que limité. Toutefois, aux archives de Fontarabie, sur le livre d’actes du 10 octobre 1618, est inscrit le paiement du passage de l’Ambassadeur d’Espagne, en Angleterre, à un batelier hendayais, pour l’avoir conduit jusqu’au débarcadère guipuzcoan.

 

 

 

 

Le transport des personnes et des marchandises se faisait en utilisant des embarcations à fond plat ou à petite quille. Très longtemps, le plus gros de cette activité a été assuré par un bac qui effectuait la navette entre le quartier Santiago d’Irun et le passage de l’hôpital Saint-Jacques de Hendaye.

 

 Le bac du passage de l’hôpital Saint-Jacques

   Sur le domaine de Priorenia, à partir du XIIème siècle, les terres de cet hôpital-prieuré communiquaient avec des terrains espagnols, grâce à un pont en bois que, seuls, les Hendayais pouvaient emprunter. La Charte des Privilèges du roi Louis XIII maintient l’exclusivité du passage.


    Louis XIV confirme le titre de concession « …nous avons maintenu et maintenons aux habitants de Hendaye et autres sujets de Sa Dite Majesté très Chrétienne, à savoir… les habitants de Hendaye… jouiront et posséderont le passage de l’hôpital Saint-Jacques, avec celui de Hendaye vis-à-vis de Fontarabie. » Sa Majesté approuve cette sentence le 25 février 1668, à Saint-Germain en Laye. Hendaye eut la jouissance du bac jusqu’à la loi du 6 frimaire an VII (26 novembre 1798) qui abolit tous les privilèges relatifs aux bacs de rivières et les fit rentrer dans le domaine de l’Etat. Des pièces authentiques remontant à l’année 1831 prouvent que l’administration française a continué à renouveler cette  adjudication à des Hendayais dont le batelier Olaïtz. 

 

     A la suite, en 1884, après 18 années de service du passeur Jean-Baptiste Durruty, un nouveau gestionnaire et quelques bateliers, considérant leurs propres intérêts avant l’intérêt général, souhaitent la suppression de ce moyen de transports public, pour avoir la mainmise privée sur les passages. « Les voyageurs seraient, alors, à la merci de bateliers qui les rançonneraient, à discrétion, par leurs exigences ou refus de passage et même, parfois, les moyens de passage leur feraient complètement défaut.»


 Le Conseil Municipal, réuni le 13 mai 1885, demande, avec insistance, le maintien du bac considérant que sa suppression entraînerait des conflits, entre les nombreux bateliers réunis sur ce site, importunant, alors, les voyageurs.


 Le bac fonctionnera jusqu’en 1914, continuant à déposer les voyageurs au débarcadère  d’Irun. En 1912, Paul Faure, natif de Dordogne, député, dirigeant de la SFIO, relate, avec nostalgie, ses traversées en bac.


  

      

 

     « J’aurais voulu que les habitants des deux rives aient un regret, un geste d’adieu, pour quelque chose de très poétique, de très pittoresque, qui va disparaître ; je veux parler du bateau, sorte de bac qui transportait bêtes et gens d’une rive à l’autre. Bac, passeurs, ces mots évoquent nettement ce qu’ils expriment. A peine les ai-je prononcés, que je vois tout de suite la campagne, sa vie très lente qui a le temps, le village et ses gens qui ne se hâtent pas… Le bac de Hendaye, … je l’ai pris plus de cent fois, par tous les temps, à toutes les heures. Les étrangers, les touristes ne le connaissaient guère. Seuls, le prenaient les Basques de la région de Hendaye et ceux du Guipuzcoa, gens à béret et à makila, les uns et les autres jamais pressés. D’ailleurs, quand on arrivait, que ce soit sur la rive française ou espagnole, le passeur n’était jamais là ; il était toujours en face mais on ne s’en plaignait pas. ... Généralement, on était là plusieurs à attendre. Tout d’abord, chacun restait seul dans son coin puis, le passeur tardant à venir, on trouvait que le temps était long, alors, on se rapprochait, on formait des groupes. Finalement, presque toujours, on dansait ; presque toujours, il y avait un accordéon ou une guitare ou sinon quelqu’un sifflait ou chantait. … Cinq ou six couples, jamais plus. Ils tournaient gracieusement sous l’œil amusé des douaniers ; souvent, un miquelet, (militaire espagnol) pèlerine bleue, béret rouge était dans la danse. … Le soir, la nuit tombée, quand on arrivait à la rive française, le passeur était presque toujours en face, en train de boire avec les  carabiniers espagnols dans une cidrerie dont on voyait la lumière. Alors, le jeu était de l’appeler. Batelier ! Batelier ! C’était à qui crierait le plus fort. Au bout d’un moment, quelque chose bougeait là-bas et le bateau arrivait. Ombre sur l’ombre, il glissait dans un petit clapotis très doux puis touchait la rive avec le bruit mat et long de la quille raclant le sable. Oh ! Charme de ce bac. Oh ! Poésie de ces bals, de ces appels dans la nuit. Et maintenant, tout cela va finir. Ce va-et-vient pittoresque, ces attentes, tout cela ne sera plus. Sur le nouveau pont, on passera, on ne s’arrêtera pas. … La rive de Santiago sera désormais sans danseurs, sans guitares et sans amoureux. Mais moi, quand allant de Hendaye à Irun, je passerai sur le dos de fer du pont, instinctivement, je regarderai en bas à gauche, l’endroit de l’eau que suivait le bac. Et j’y verrai les traces de son passage, comme on voit sur les sentiers, les traces de pas qui ont disparu. » 

 

  Le passage de Hendaye à Fontarabie

        N’importe quel batelier pouvait faire passer des personnes vers Fontarabie. Le Conseil Municipal crée un service public, en 1866. Etienne Boucher de Crèvecoeur, chef du poste de douane de Béhobie, se rend régulièrement à Fontarabie. « De Fontarabie à Hendaye, le trajet a lieu ou par eau pendant la marée ou à gué, lorsque la mer est basse, en traversant seulement en bateau le lit de la rivière qui ne demeure pas à sec ».

    

        Effectivement, l'alternance des marées se fait ressentir dans le bassin de la Bidassoa.

 

         

     La marée descendante laisse apparaître un immense banc de sable appelé « playa », à cause de sa texture fine. Entre la rive espagnole et ce sable, « le chenal » où la Bidassoa est infranchissable à gué, bien qu’elle se soit considérablement rétrécie. Dans la partie sablonneuse, s’insinue un petit « canal » dont la profondeur varie en fonction du coefficient de la marée. Quand le niveau est suffisant, il n’est pas rare de voir le batelier, de l’eau jusqu’aux genoux, pousser son embarcation ou bien se servir de sa rame, à la manière d’un gabarrier. Le canal bifurque, vers le sud, à une trentaine de mètres de l’embarcadère hendayais. Devant ce dernier, subsiste rarement de l’eau et le sol est généreusement vaseux. Cette configuration engendre des petits désagréments, au moment de l’embarquement et du débarquement. Cap sur Fontarabie, les messieurs se déchaussent, relèvent le bas de leurs pantalons, descendent les trois marches de l’embarcadère qui les met en contact avec la vase souvent nauséabonde, traversent la zone d’enlisement  et retrouvent le sable du « playa ». Les dames, généralement, se font porter par le passeur jusqu’à la zone sablonneuse. De là, voyageurs et bateliers marchent une centaine de mètres, vers le « chenal » avant de monter dans l’embarcation, ancrée au bord du sable. Souvent, les scènes sont cocasses, les cris et les rires fusent près de l’embarcadère, à cause de la traversée de la partie vaseuse et glissante. Pierre Loti évoque « une étendue confuse au sol traître qui éveille des idées de chaos ».

 

 


     Ces cartes postales proposent quelques scènes typiques, lors de la marée descendante.

 

 

 

 

  

     Laissons François Duhourcau, romancier et historien bayonnais, lauréat du grand prix de l’Académie Française, en 1925, décrire «… la marée montante, bientôt, qui ramène la vie. Les lames s’avancent pressées, bruissantes puis le clapotis et le scintillement de l’onde… Les barques des passeurs vont et viennent à la rame, sur l’eau envahissante... La joie revient au cœur des bateliers dont moins grande est la peine ; ils chantent accompagnés du cri des mouettes… Cette reviviscence universelle influe sur l’âme la plus atone et dispose à espérer de la vie tous les renouveaux…Ajoutez à cela, le miroir de la lagune changeante, le va-et-vient des mariniers qui enlèvent leur barque à coups d’avirons scintillants, sous les carillons, argentins et graves, qui s’entrecroisent de la rive française à la rive espagnole et vous aurez la poésie qu’exhale ce prestigieux canton ». Lorsque la marée est haute, il est plus aisé de s’installer dans les bateaux depuis les embarcadères respectifs.


        Le passeur aide les voyageurs à monter dans son embarcation. Ils occupent, d’abord, les bancs situés à la poupe, ensuite les latéraux et ceux de la proue. Il invite tous les indécis à grimper à bord. Souvent, l’eau arrive à la partie supérieure de l’embarcation.


  

  

 

 

 

Lorsque les conditions climatiques le permettent, une petite voile est montée à l'avant.

 

 

 

 

 

 

 


  

 

 

 

Pour le marché du samedi et la Bixintxo à Hendaye, « l’alarde » du 8 septembre et la procession du Vendredi-Saint, à Fontarabie, c’est l’occasion de retrouver amis et familles pour faire la fête … et un peu de contrebande. Les membres d’une même famille d’origine espagnole, séparés par la rivière pour des raisons administratives ou politiques, se donnaient rendez-vous à Fontarabie. Venant de France, ils embarquaient à Hendaye. Ces jours-là, les bateliers étaient encore plus sollicités et des files d’attente se formaient, sur les embarcadères.  Dans les années 1870, une clientèle fortunée de Saint-Jean de Luz, Biarritz et Bayonne faisait l’aller et retour en barque, plusieurs fois par semaine pour écouter les mélodies des orchestres dans les jardins de Fontarabie.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

    

     Dans son roman « Ramuntcho », l’auteur décrit des scènes de contrebande, la nuit, dans le bassin de la Bidassoa, avec son héros et la participation de passeurs patentés. De sa maison « Bakhar Etxea », il regardait « ces marins et contrebandiers qui montent des barques d’allure lente, traînant avec elles de longues rides alanguies, dérangeant par place les images renversées de Fontarabie et des montagnes ». Chaque soir de Noël, seul ou avec des amis, il louait les services d’un batelier qui, après un quart d’heure de traversée, lui faisait aborder le rivage espagnol afin d’assister à la messe de minuit, dans le couvent des moines capucins. Certains passeurs étaient détournés de leur activité professionnelle. Ainsi, le légendaire Pépé Camino, sur son bateau « L’hirondelle », transportait, régulièrement, une Nord-américaine tout près des rochers « Les deux jumeaux ». Elle plongeait et nageait, ensuite, jusqu’à l’embouchure de la Bidassoa, le batelier, ramant à ses côtés pour assurer la sécurité. A marée haute, durant la période estivale, les bateliers faisaient découvrir « l’île des faisans » aux touristes. Un autre service de transport par eau  était, également, assuré entre le centre ville et la grève des bains d’Ondaralxou, plage des Hendayais, au niveau actuel du port de la Floride, la grande plage étant plus fréquentée par des touristes. En été 1897, le maire demanda qu’il soit élevé, à cet endroit, « un abri quelconque qui permette aux gens de s’y habiller décemment ».


      De nombreux Hendayais ont été, à court ou à long terme, amenés à effectuer les passages entre les deux cités frontalières. Dans la liste  des embarcations et  de leur propriétaire, figure un grand nombre de passeurs. Parmi les plus réputés, citons, également, avec leur surnom : Elie Naçabal (Chamblan), Elie Nazabal (Tarat), Orthous (Pottoko),  Firmin Sistiaga (Bitiri) et son fils Bartolomée, Pépé Camino qui initia quelques jeunes à ce dur métier, dont Patxiku Berra. En 1891, Ulysse et Jean Baptiste Vanlissum, Suertegaray, Ignacio, Jean Ortet, Navarra signent un nouveau règlement devant le syndic, B. lafosse.




 

LISTE DES EMBARCATIONS ATTACHEES AU PORT DE HENDAYE

JANVIER 1909

 

 

     NOMS DES EMBARCATIONS               NOMS DES PROPRIETAIRES

                                                                                

MARIE                                                                Errecarte

MARIA                                                                Nazabal

HORTENSE                                                          Camino

PASSE-PARTOUT                                                Séverine

SANS GENE                                                        Murat

JOSEPHINE                                                        Labourdette

GUADALUPE                                                        Sahuc

LAMATCHICHE                                                   Auzelou

MICHEL                                                               Orthous

JUANITA                                                            Vic, maire

JOSEPHINE                                                         Burguet

JEAN                                                                   Duhart

TALASSA                                                             Bigot

IZARRA                                                               Errecarte

IVONNE                                                               Naçabal

LIANE DE POUGIE                                               Sahuc     

L’ILE DES FAISANS                                            Vanlissum

SAINT-IGNACE                                                   Orthous

ONGUI ETHORRY                                                Oronoz

DESIRE                                                                Humbert

BELLE ETOILE                                                      Iriondo

LA RHUNE                                                            Ortet

DREYFUS                                                              Duhart

JOSEPHINE                                                          Errecarte

THERESE                                                              Errecarte

SAINT ETIENNE                                                  Garmendia

JOSE                                                                     Lecueder

MORROSO                                                             Artola

MARGUERITTE                                                      Bellocq

SAINTE JEANNE                                                  Argoïty

GABRIEL                                                                Errasquin

PAREGABEA                                                           Emparan

PALAYE                                                                  Emparan

NINO                                                                     Méthol

LE VENGEUR                                                           Errecarte

ONDINE                                                                 David

JULIEN                                                                  Vanlissum

LES 3 FRERES                                                        Suertegaray

JUANITTA                                                             Barbarenia

LES 3 COURONNES                                                Pépé Camino

SUERTE ONA                                                          Habans

 

Les bateaux stationnaires

 

     Suite à la multiplication des problèmes et à leur diversification entre riverains de la Bidassoa, le Ministre de la Marine Nationale française et son homologue espagnol affectent des navires à la surveillance du cours d’eau frontalier. Ce sont des bateaux de guerre, convertis en garde-pêche, susceptibles de se déplacer pour des interventions sur la rivière ou en mer. Le plus souvent, justifiant leur appellation, ils se retrouvaient à l’ancre, au milieu du chenal principal de la Bidassoa, comme le navire espagnol ou à quai, pour les Français, à la base navale hendayaise.


     Sur des cartes postales anciennes, des petits bateaux de passeurs vont et viennent près d’un bâtiment, « stationné » tout près de la rive espagnole : la canonnière « Mac-Mahon ». Construite en 1887, son équipage pouvait comprendre 31 hommes ; 2 canons de 42 et un canon de 37 constituaient son armement. Elle faisait partie de l’effectif de la Marine Royale Espagnole qui comptait une trentaine de canonnières légères, dites de seconde classe (moins de 100 tonnes). Après pratiquement l’anéantissement de l’armada espagnole, au cours de la guerre hispano-américaine de 1898, initiée par les Nord-américains pour libérer les Cubains de la tutelle hispanique, le Mac-Mahon est en mission, dans le bassin de la Bidassoa. Elle consiste à veiller à la bonne application des lois et traités en vigueur sur la pêche, la récolte des coquillages et le transport des biens et des personnes : le commandant de ce navire, en accord avec son homologue français interdit la pêche des huîtres, en 1900, à cause de leur petite taille, dans l’intérêt de leur conservation. Le bateau restera en service jusqu’en 1930.


     Côté français, des stationnaires ont croisé le Mac-Mahon.

 

     Notamment, tout d’abord, la chaloupe canonnière « Le Javelot », sortie des chantiers de La Seyne en 1866, fonctionnelle dès l’année suivante. Après 18 années de service, elle est désarmée, appareille de Toulon à Bordeaux, par le Canal du Midi et accoste à la station navale de Hendaye, en mars 1886. « Le Javelot » n’était pas à la pointe de l’armement naval dissuasif, dans la mesure où il était très souvent en panne, apponté près de la voie ferroviaire. D’ailleurs, les Espagnols lui avaient réservé un couplet où il était question de son « état stationnaire » :


 "El Javelot es un barco de guerra, anclado en el Bidasoa, con ostras en los pies".


     On associe le nom de cette chaloupe à celui de Pierre Loti puisqu’il en a assuré le commandement, à 41 ans, de même que celui de la station navale, du 16 novembre 1891 au 16 juin 1893 puis du 16 mai 1896 au 1er janvier 1898.


     Sur la proposition du Ministère de la Marine, le Président de la République, Jules Grévy, enjoignit Pierre Loti  de prendre le commandement du « Javelot » qui était,  « de toute éternité, en mission dans la Bidassoa.  » Les voyageurs qui allaient de Hendaye à Saint-Sébastien se demandaient, au juste, quelle était cette mission, lorsqu’ils voyaient cette embarcation perpétuellement embossée, sous le pont de chemin de fer. Les uns disaient que c’était pour surveiller la côte, les autres pour la contrebande… Certains pensaient que « Le Javelot » était un observatoire commode pour étudier l’âme basque ! Pourvu de ce commandement qui n’exigeait pas une application soutenue ni une attention de tous les instants, Pierre Loti a pu rêver, méditer, écrire, corriger ses épreuves littéraires. Fin des années 1880, « Le Nautile », chaloupe à vapeur, est amarrée, à ses côtés. En 1899, une pétition des pêcheurs luziens et cibouriens, adressée au Ministre de la Marine, vise leurs homologues espagnols qui viennent, en force et en exerçant des violences, s’emparer du poisson « tricolore »,  dans les eaux françaises. « Le Javelot » est dans l’impossibilité de se dégager du ponton et le « Nautile » incapable d’atteindre, à la course, les bateaux à la rame ! Pour la petite histoire, d’après le Conseil Municipal de Hendaye, c’est la concurrence  de son port et de sa gare avec la cité luzienne qui a fait réagir les plaignants.


 « Le Javelot » sera rayé du ponton de la Bidassoa, en 1901 et démoli, en 1911. 

 

 Ensuite, le torpilleur de haute mer « Le Grondeur » remplace la chaloupe canonnière, en mars 1910. Construit aux Forges et Chantiers de la Méditerranée, il est mis à flot en février 1892. Long de 45,5 mètres, utilisant 2 chaudières et 2 hélices, le torpilleur a fière allure. C’est le Lieutenant de Vaisseau Bécue qui en assure le commandement de 1911 à 1914. Mis à disposition de la marine française durant la première guerre mondiale, il se met en évidence par des actions héroïques, notamment en 1917. Il finira comme garde-pêche, à Saint-Jean de Luz en 1924 et 1925, avant d’être démoli en 1926. En 1914, le « Qui vive » sera l’annexe du torpilleur.

 

Règlements et navigation  

     Excédée par le désordre causé par le non-respect d’arrêtés consécutifs à des litiges, la municipalité s’en remet au Préfet des Basses-Pyrénées. Par un courrier du 26 mars 1885, il répond à Monsieur Vic, maire de Hendaye, qu’il n’existe aucun règlement concernant la police générale des bateaux et des bacs.


     Des mesures sont prises pour essayer de régulariser des situations anarchiques. Un syndicat des bateliers hendayais voit le jour et, avec le concours du Conseil Municipal, fixe des tarifs pour le passage en Espagne : 0,50 centime par personne et 0,15 centime pour les abonnés. (le kilo de pain coûtait 0,45 centime). Les deux parties mettent au point un règlement :


-  Chaque batelier a l’obligation de faire son tour correspondant à son numéro,

- Si un batelier est occupé par ses travaux personnels, il peut se faire remplacer par un de ses collègues mais il est, à son tour, obligé de remplacer celui qui a fait le sien,

- Celui qui ne remplira pas les conditions ci-dessus indiquées payera une amende de un franc et perdra sa journée.


    

 

    

 

     Vu la loi du 5 avril 1884 qui reconnaît l’autonomie communale et le règlement, par les délibérations du Conseil Municipal, des affaires de la commune, la municipalité considère qu’il importe de prendre des mesures relatives au maintien de la sûreté et de la tranquillité publiques, à Hendaye, le 14 novembre 1891.


« - Toute sollicitation importune pour … offres de passages sur la Bidassoa … sont interdits dans la cour de la gare et dans les rues de Hendaye,

   - Les bateliers se tiendront au port d’embarquement pour le passage à Fontarabie et porteront, d’une manière apparente, soit au béret soit au bras, le numéro correspondant au bateau pour lequel ils sont patentés. »


     Les problèmes subsistent toujours, il n’y a pas de consensus au niveau de la tarification des passages, notamment.


    

 

 

 

 

 

 

       Le 5 septembre 1894, le maire Monsieur Vic, arrête :


« Considérant que pour éviter des réclamations souvent produites par les personnes qui se rendent en barque du port de Hendaye à la jetée de Fontarabie, il est de toute nécessité de fixer les voyageurs sur les prix habituels de passage que les bateliers peuvent exiger d’eux,

 - Art.1 : Le prix d’une traversée de Hendaye à Fontarabie ou de Fontarabie à Hendaye ne pourra être moindre de 0,15 centime ni excéder 0,50 centime par personne,

   - Art.2 : Le prix de parcours par eau de Hendaye à la plage (grève d’Ondaralxou) ne pourra être moindre de 0,10 centime ni excéder 0,30 centime par personne,

   - Art.3 : Les contraventions aux dispositions du présent arrêté seront constatées par procès verbaux et poursuites, conformément à la loi. »


   En novembre 1894, le Directeur des Douanes demande à Monsieur Vic de dresser une liste des embarcations françaises patentées ou francisées (par le paiement des droits) qui sera échangée entre les deux pays par les maires des communes respectives. Chaque mairie recevra, en échange, les noms des passeurs ou armateurs voisins. Ainsi, Fontarabie et Hendaye devront posséder la nomenclature de toute la flottille qui assure la navette entre les deux villes. Les bateliers, après avoir signalé les noms de l’embarcation et de  son propriétaire, connaissent le numéro d’immatriculation de leur outil de travail.


   Le Directeur des Douanes ne pouvait pas imaginer qu’un bateau  présenterait, à tribord, une immatriculation espagnole et, à bâbord, une française !

     

      En décembre 1908, le commandant de la canonnière « Le Javelot » constate, en particulier, que le samedi, les bateliers surchargent leur embarcation. Il prend, alors, la décision d’interdire de faire embarquer plus de 10 personnes, enfants compris (11 avec le batelier). En temps de crue, lorsque le courant devient plus fort, ce nombre sera réduit à 6. D’ailleurs, les patrons doivent obéissance aux gradés du stationnaire qui jugeront de devoir faire débarquer des passagers. Pareil arrêté est pris par le commandant du stationnaire espagnol, « Le Mac-Mahon ».


     Au cours des délibérations du Conseil Municipal du 3 août 1912, il est encore question de l’action des bateliers français et espagnols qui troublent les rues  de la cité hendayaise, par leurs sollicitations et leurs exigences envers les voyageurs. Une nouvelle réglementation est adoptée.

 

    Il faut préciser que les bateliers ont souvent connu des injustices et exclusions qui les privaient  de leur seul moyen d’existence, eux et leur famille.

  

Affaire de la batellerie de Hendaye

      Au cours des années 1884-1885, l’épidémie de choléra fit huit cent mille victimes, en Espagne.  En juin 1884, le gouvernement espagnol décida  que les voyageurs allant de France en Espagne, par Hendaye, devaient subir une quarantaine dans des lazarets installés à Irun, Behobia et Fontarabie qui s’avérèrent insuffisants pour recevoir les voyageurs s’y présentant. Ces derniers devaient attendre à Hendaye que le gouvernement espagnol voulut bien les recevoir. Dès que les lazarets furent prêts, le Vice-consul d’Espagne ordonna que le transit soit assuré par la Bidassoa et non par la voie ferrée. Pendant les deux ou trois premiers jours, le service fut fait indistinctement par tous les bateliers du port de Hendaye, patentés ou non, inscrits ou non inscrits mais, cela ne plaisait pas au Syndic des Gens de Mer de Hendaye, propriétaire de l’un des bateaux servant au transport des voyageurs. Ce personnage, le Vice-consul espagnol et le Commissaire de Surveillance Administrative de la gare de Hendaye s’unirent pour évincer les bateliers français. Ils imaginèrent que les voyageurs s’embarqueraient hors du port hendayais ; ainsi, le Vice-consul était libre d’imposer aux voyageurs telles barques que bon lui semblait pour aborder sur la rive espagnole. Suite aux protestations faites par les bateliers et la municipalité, intervint le Commissaire de l’Inscription Maritime de Saint-Jean de Luz qui menaça les bateliers, exclus, de peines disciplinaires, telles que l’envoi à Rochefort ou tout autre port de l’Etat s’ils persistaient à dénoncer la décision du Vice-consul. Le Conseil Municipal espérait que « l’autorité compétente saurait faire sentir à ces fonctionnaires non patriotes, l’inconvénient qu’il y a à  méconnaître les convenances et les devoirs que leur imposent leurs charges et leur qualité de Français ». Après l’application stricte des articles et traités spécifiques concernant la navigation sur la Bidassoa, aucune peine disciplinaire ne put être prononcée, les propriétaires des  barques espagnoles renoncèrent au transport et, seules, les embarcations françaises patentées purent circuler, exception faite pour celle du Syndic des Gens de Mer, montée par un de ses domestiques.  


 Les derniers bateliers

     Après la deuxième guerre mondiale, la vie économique tournait au ralenti, tant en France qu’en Espagne, après la guerre civile : des denrées manquaient de chaque côté de la Bidassoa. Des passeurs espagnols venaient jusqu’à Hendaye, le battela chargé de bouteilles de vin, principalement, qui étaient échangées contre des miches de pain, la plupart du temps.


    Des élèves de Fontarabie suivaient une scolarité dans les écoles hendayaises. Par tous les temps, ils étaient transportés par les passeurs.


    Au début des années 1960, le nombre des bateliers a considérablement diminué. Du côté français, Paolo Errazquin et Jean Suertegaray assuraient, encore, la liaison internationale. Les efforts physiques devaient être de plus en plus pesants chez ces deux Hendayais, atteints par la limite d’âge mais, quelles que soient les conditions météorologiques, ils continuaient, avenants, à exercer leur métier. Depuis Fontarabie, deux frères, Teodoro et Juanito Araneta, transportaient les passagers jusqu’à Hendaye. Quand les usagers du  passage étaient nombreux, ils n’hésitaient pas à affréter une deuxième barque qu’ils accrochaient à la leur et on les voyait accoster, au débarcadère, avec deux embarcations remplies à ras bord. Souvent, en retournant à leur port d’attache, ils invitaient des jeunes du quartier du Port qu’ils ramenaient, ensuite, à Hendaye lors de la traversée suivante. Ces riverains peuvent témoigner du régime que les deux frères suivaient pour garder la forme, dans la journée : pain, pommes et clarete !


    De nouveaux ponts, des services de bus, de tramways ont contribué à des déplacements plus rapides : le métier de rameur-passeur a disparu progressivement. Aujourd’hui, un service de bateaux à moteur continue de déposer les usagers se rendant de chaque côté de la Bidassoa. On n'entend plus le bruit des rames frottant contre les estropes et les tolets mais, en cinq minutes, on est rendu à destination. Les embarcadères ont été déplacés à Sokoburu et à l’ancienne criée de Fontarabie : au moment des fêtes, on retrouve les files d’attente et l’atmosphère festive. Le cadre est toujours aussi majestueux. On n’est pas très loin de ce que demandait Walter Starki, directeur de l’Institut Britannique de Madrid, au passeur espagnol qui l’emmenait à Fontarabie : « Ne ramez pas si vite. J’ai toute ma vie devant moi. Je vous donnerai quatre pesetas au lieu de deux, si vous abandonnez vos rames et si vous me permettez de contempler, lentement, ce beau paysage ».